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RENCONTRE AVEC : OLIVIER CACHIN « La longévité c’est peut être la chose la plus difficile à atteindre quand on est dans le rap biz. »

Olivier Cachin, le journaliste français emblématique de la culture hip-hop est une institution à lui tout seul. RapLine, L’Affiche, Radikal, Mouv’, autant de titres de référence qui ont construit la médiatisation d’une culture depuis plus de 30 ans et dont le journaliste en est l’une des figures de proue. Après la sortie d’une vingtaine d’ouvrages, Olivier Cachin sort ce mois-ci deux nouveaux livres aux éditions GM, avec MICHAEL JACKSON, Métamorphoses musicales et NAISSANCE D’UNE NATION HIP-HOP. RENCONTRE AVEC

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Dans votre nouvel ouvrage “Naissance d’une nation hip-hop, le 1er chapitre intitulé “Des Last Poets à SugarHill Gang, les origines de la culture hip-hop” ne traite que de la naissance du hip-hop par le biais culturel. L’aspect social de la fin des années 60 dans la ville de New York avec la guerre des gangs, n’a-t-il pas joué à un rôle majeur dans la création de la culture hip-hop ?

C’est vrai que c’est aussi pour ça que l’on a mis 50 ans pour se référer à la fin des 60 lors de l’avènement du Black Power. La guerre des gangs est évoquée avec la transformation du gang des Black Spades d’Afrika Bambaataa et son utopie de la Zulu Nation. Oui, ce n’est pas faux. Après ce n’est pas non plus Can’t Stop Won’t Stop de Jeff Chang et ses 700 pages, il fallait que je taille un petit peu. Je me suis plus concentré sur l’aspect musical que sur l’aspect social.

Quel est selon vous l’élément historique déterminant qui a fait basculer le mouvement hip-hop vers sa commercialisation ?

Je dirais qu’il n’y en a pas un, mais plusieurs à chaque époque et à chaque mutation. Le premier 45 tours qui marche et qui devient un tube mondial est Rapper’s delight de The Sugarhill Gang. Ensuite il y a The Message qui a eu un impact extraordinaire et qui amène l’un des premiers albums de rap en 33 tours. On pourrait dire la même chose avec une forme de crossover avec le titre Walk This Way de Run-DMC et Aerosmith sorti en 1986. Voilà quelques uns des éléments, mais il n’y pas un élément qui d’un coup a fait passer le mouvement hip hop de l’underground au grand public ou de l’ombre à la lumière, il y en a plusieurs.

Pourquoi, lorsque l’on échange avec toutes les générations, Michael Jackson, reste la plus part du temps, considéré comme un artiste hip-hop ?

Je ne sais pas si on peut dire qu’il est considéré comme un artiste hip-hop, mais il est également respecté par les “hip-hopiens”, et c’est quelqu’un qui a su mélanger intelligemment tous les genres. Même si, pour être honnête, je ne pense pas que le rap soit la musique qu’il ait réussi le mieux à appréhender. Avec le cinéma c’est un peu l’un des rendez-vous manqué de Michael Jackson. Le duo qu’il devait faire avec Run-DMC n’a pas eu lieu, et les quelques apparitions de rappeurs sur ses disques (Heavy D ou Notorious B.I.G.) restent plutôt marginales et les rappeurs présents sur Dangerous sont anecdotiques. Dans sa carrière, il a plutôt utilisé le rap comme une décoration supplémentaire de sa musique, mais je ne pense pas que ce soit un artiste hip-hop, ce serait à mon sens un peu exagéré de dire cela.

Vous avez rencontré Prince à deux reprises ! Quel souvenir vous a-t-il laissé ?

Des souvenirs justement ! Je n’avais pas le droit d’enregistrer l’interview. Une grande frustration. Il avait aussi refuser de dédicacer les albums que j’avais amené, car il ne faisait plus ça et considérait cela comme un sacrilège. Il n’a même pas voulu que je fasse de selfies avec lui. J’ai donc du me contenter d’une photo prise par Prince avec Larry Graham. Le souvenir est celui d’un homme brillant, d’un grand musicien, de quelqu’un qui abordait les interviews de façon très sérieuse, il était vraiment à l’écoute. Il ne donnait pas beaucoup d’interviews, alors lorsque les journalistes posaient des questions, il était très attentif. C’était un souvenir assez intense car on a pas tous les jours la chance de croiser des musiciens de ce calibre. Ca m’est arrivé avec David Bowie, James Brown, Bobby Womack et quelques autres. Mais Prince est dans le quinté de tête.

De l’émission RapLine au début des années 90 au Mouv’ aujourd’hui, qui, selon vous, sont les rappeurs français qui sont restés les plus authentiques ?

Déjà ceux qui ont survécu aux années 90. Je pense à IAM, à NTM, Sulee B désormais producteur reconnu. Malheureusement si on prend des années 90 à maintenant, il n’y en a pas énormément qui sont encore là et actifs. Ou alors comme Doudou Masta de Timide et Sans Complexe qui est passé dans le cinéma et la télévision, mais qui n’est plus vraiment actif dans le rap. Mais il faut bien le dire, l’authenticité c’est une chose, la longévité c’en est une autre, et c’est peut-être la chose la plus difficile à atteindre quand on est dans le “rap biz”.

Selon vous, pourquoi la culture hip-hop française est-elle autant divisée ? Chaque discipline (la danse, le rap, le graffiti, le djing) reste à sa place sans se mélanger aux autres (contrairement à avant). Pourquoi ?

J’ai ma théorie. Je pense qu’au début on était dans une forme d’utopie, avec une culture underground et dont les personnes qui en faisaient partie, étaient dans cet état d’esprit d’être polyvalents. Assez logiquement quand les différentes disciplines se sont développées chacune séparément des autres: la danse avec les Cie, le graffiti dans les galeries, le djing avec le turntablism… Je dirais que tout ça est très bien expliqué dans le titre Tout n’est pas si facile de Suprême NTM, dans laquelle est racontée cette nostalgie de l’époque “où l’on était tous frères”. Le fait est que le rap était la forme la plus facilement commercialisable de cette culture, il a donc pris le dessus sur les autres, et il y a donc forcement eu un morcellement de celle-ci avec ses 4 disciplines.

Quel est votre sentiment sur l’affaire Afrika Bambaataa ?

Alors je ne suis pas au courant d’une affaire. Je n’ai pas de sentiments dans le sens ou je n’ai pas vraiment d’informations. Il ne me semble pas que ce soit arrivé au niveau de l’affaire Harvey Weinstein. Donc pas de sentiments particuliers. Je devais l’interviewer lorsque j’étais à New-York pour la série de documentaires Urban Stories que je faisais pour la chaîne Trace Tv, et je n’ai pas réussi à l’avoir. Peut-être est-ce du à ces critiques et ses plaintes concernant cette affaire. 

Vous étiez l’un des fondateurs du magazine L’Affiche et le rédacteur en chef du magazine Radikal. Pourquoi aucune presse papier rap/hip-hop en France n’a survécue ?

Tout simplement car le tempo de l’information a changé. Internet a fait que tout s’est accéléré, y compris la communication, et aujourd’hui plus personne dans le public qui écoute de la musique hip-hop, ne sait ce que c’est que de faire la démarche volontaire d’aller dans une Maison de la Presse et de demander tous les mois  tel ou tel magazine. Ca coûte très cher de faire un magazine, le marché de la publicité s’est effondré et donc rien que pour ça, avoir des locaux, un rédacteur en chef, un adjoint, un chef des informations, un secrétaire de rédaction, quelqu’un à la publicité, payer les imprimeurs, avec des pages de publicité qui sont quasiment impossibles à avoir, c’est aujourd’hui commercialement impossible. Maintenant tout est instantané, l’artiste a fini son morceau, il appuie sur le bouton et il est sur Youtube. Résultat sur la douzaine de magazines « musiques urbaines » qui existait dans les années 90, quasiment aucun n’a survécu.

Que pensez-vous de l’appellation « musiques urbaines » aux victoires de la musique ?

Effectivement ce n’est pas génial, mais c’est toujours mieux qu’à l’époque ou c’était «  Rap, Reggae, Groove ». Je dirais que cela témoigne de la difficulté de cette vénérable institution un peu moisie que sont Les Victoires de la Musique par rapport aux nouvelles musiques. Ce qui n’empêche pas les rappeurs d’être très contents de gagner les Victoires et avec un peu de chance de pouvoir leur faire gagner quelques ventes de plus. Encore que cela reste à déterminer.

En 2017, vous restez l’un des rares journalistes spécialistes du rap et de sa culture ! Où sont passés les autres ?

C’est pas tout à fait vrai heureusement. Il y a des gens comme Thomas Blondeau, Sindanu Kasongo et pas mal d’autres qui sont plus sur l’actualité du rap. Il y a Mehdi Maizi avec l’ABCDR et OKLM Radio. Donc il y en a d’autres, mais c’est vrai que par rapport au rock, dans la critique musicale, le rap est plutôt sous représenté. Comme dans les médias et surtout en télévision.

Il y a une certaine langue de bois dans la culture rap, dans laquelle personne ne donne son avis sur la musique de l’autre, en prétextant un respect de son business. Est-ce qu’en tant que journalistes, avez-vous déjà dit du mal d’un artiste hip-hop français ? Et Si, oui, comment cela s’est-il passé avec lui par la suite ?

(rires) Je vois ce que vous voulez dire ! Est-ce que je me suis fait taper après une critique ? Ca m’est arrivé d’avoir des points de vue un peu critique sur certains artistes de rap français, et c’est vrai qu’en règle général, le rappeur français n’est pas l’artiste qui admet le mieux la critique. Comme on parle d’artistes qui habitent à quelques stations de métros ou de RER de là où tu travailles/habites, si ces journalistes veulent être négatifs ou critiques, ils ont plutôt intérêt à bien circonstancier leur parole. J’avais fait une critique de l’album P.D.R.G. de Rohff, qui n’était pas mauvaise mais plutôt critique, assez longue, sur un blog que j’avais à l’époque avec le magazine Métro. Il m’en a voulu, pas vraiment pour la chronique en elle-même mais plus pour ce que les gens lui en ont rapporté, alors que le papier était globalement positif ! Voilà pourquoi il vaut mieux toujours savoir de quoi et de qui on parle, quand les artistes peuvent être proches de chez vous !

En septembre 2015, le journaliste Yann Moix, dans l’émission “On est pas couché”  sur France 2, caricaturait la posture du rappeur et le rap de Nekfeu, en distillant nombre de clichés sur la culture hip-hop, que l’on entend depuis plus de 30 ans. En est-on toujours là en France, avec la culture hip-hop et le rap ? Cette culture et cet art ne sont toujours pas pris au sérieux ?

Il faut nuancer le propos. C’est vrai surtout sur des gros médias de masse ou des grandes émissions de talk, comme celle d’Ardisson ou de Ruquier, car les chroniqueurs de ces émissions là, ne sont souvent pas des spécialistes musicaux et encore moins de rap. Je trouve qu’ avec Yann Moix ce n’était pas gênant, dans le sens ou c’était plutôt lui qui était ridicule, en mimant la gestuel d’un rappeur, quelque chose que l’on avait pas vu depuis Nagui en 1996. Mais là ou c’est encore plus gênant, c’est quand Thierry Ardisson déverse une avalanche de clichés sur le rappeur Vald. Il y a des médias généralistes, dans lesquels les rappeurs sont correctement traités, comme dans le quotidien Le Parisien. On peut toujours penser qu’ils n’y connaissent rien, mais il faut pas non plus demander à des journalistes généralistes ou de médias news-hebdo, de connaître le rap comme quelqu’un qui en parle depuis 30 ans comme moi ou quotidiennement comme Mehdi Maizi avec La Sauce. De toute façon, on aura toujours, surtout à la télévision et sur les grandes radios, de nombreuses occasions d’avoir de bons clichés sur cette musique. Et pour être tout à fait honnête, il arrive que le cliché vienne du rappeur lui même, cela s’est vu et cela se voit parfois encore.

Cette année 2017 en France, voit le retour de MC Solaar, l’un des mcs les plus importants des années 90. Pourquoi le mouvement hip-hop en France peine-t-il à garder sa force en vieillissant, alors qu’outre-atlantique il réussit à garder ses “vieilles” stars sur le devant de la scène ?

Je ne suis pas tout à fait d’accord. Derrière deux arbres énormes qui sont Eminem et Jay-Z, qui ont tous les deux plus de 40 ans, on a une forêt d’artistes qui étaient des superstars dans les années 90, et qui sont aujourd’hui complètement oubliés ou en seconde zone. Ca se voit peut-être plus en France. On a IAM, Mc Solaar qui revient après une éclipse de 10 ans. Mais c’est vrai que c’est un mouvement qui se revendique de la jeunesse et qui est composé d’artistes qui se sont auto-persuadés qu’on ne peut pas être un bon rappeur passé un certain âge. Il est bon de rappeler que c’était aussi la logique du rock dans les années 60, et que depuis il y a The Rolling Stones qui a plus de 70 ans remplissent encore des stades. Mais malgré tout , effectivement je pense qu’on aura moins de rappeurs de 70 ans, que l’on a eu de rockers car il y a une énergie intrinseque à la musique hip-hop qui est difficile à garder intacte passé un certain âge. C’est aussi une question de mutation, des artistes comme Oxmo Puccino ont changé un peu de style et peuvent prétendre à une certaine différence tout en étant encore pertinent. Ou encore NTM qui remonte sur scène. Kery James, lui aussi se posait beaucoup de questions sur ce sujet en envisageant une reconversion rap différente de celui qu’il proposait lors d’ Ideal J.

Quel est pour vous l’artiste rap français, le plus talentueux de ces 10 dernières années ?

Je dirais Orelsan. C’est quelqu’un qui est là depuis un peu moins de 10 ans, mais qui a du talent, qui a su se renouveler et montre avec son nouvel album La fête est finie qu’il est capable d’aller au delà et de faire des choses encore innovantes avec des vrais textes même après plusieurs albums.

Un dernier mot ? Un message ?

Je n’ai pas de dernier mot, cela ressemblerait trop à une épitaphe.

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Propos recueillis par @Hector Sudry Le Dû.

Crédit photos : @Maxime Reynard.

OLIVIER CACHIN #CESTSUPERBE